Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

LXXIX
Totz lo sabers del segle es foudatz

(Sirventes. )
- vers 1260 -
( Sirventès )

I

Totz lo sabers del segle es foudatz
E Dieus dis o e trobam o ligen
Et ieu cre ben sos ditz veraiamen:
Qu'ieu vei que-l ricx es savis apellatz
E-l paupres es fols e caitius clarmatz.
Al ric parec, del segle traspassan,
Et al Lazer, cal mes Dieus en soan.

1

Tout le savoir du siècle est folie;
Dieu a dit cela et nous pouvons le lire;
et je crois bien ses paroles en vérité :
car je vois que le riche est appelé sage
et que le pauvre est proclamé fou et misérable.
Mais, il devint clair au riche quittant le monde
lequel de lui et du Lazare, Dieu tint en mépris

II

La riqueza del segle es paubretatz
A sel que l'a conquista malamen,
Qu'el en pert Dieu e l'arma eissamen,
E ren no-i a pueis que es traspassatz,
Et es plus fols que trichaires de datz
Qui per aver gieta Dieu a son dan
Ni per onor que malamen guazan.

2

La richesse du siècle est pauvreté
pour celui qui l'a acquise malhonnêtement,
car ainsi il perd Dieu et son âme également,
et il n'en garde rien après le trépas.
Il est plus fou qu'un pipeur de dés
celui qui, à son grand détriment, dédaigne Dieu
pour de l'argent ou des biens malhonnêtement gagnés.

III

Ges paupres hom non deu esser cassatz,
C'atressi a sen et entendemen
Con a lo ricx e razon eissamen,
E trobar n'es de ben aconseillatz,
E si el es en conseil apellatz,
El lo dara lial e ses enguan
E qui-l creira no i poira aver dan.

3

Un pauvre ne doit pas être chassé
car il a tout comme le riche
sens et entendement et raison pareillement
- et il s'en trouve de fort avisés- .
S'il est appelé à donner un conseil,
il le donnera loyal et sans tromperie
et, qui le croira, n'en subira aucun tort.

IV

Mas tant es grans del segle-l cobeitatz
Que nuils non ve son dan ni non l'enten,
E l'enveja es tan grans de la gen
D'aver maizons, terras et eretatz
Qu'a guiza d'orbs si gieton els baratz,
E can vezon que-l baratz vai montan
Empenhon si ades mais azenan.

4

Mais si grande est la convoitise de ce siècle
que nul ne voit ni ne comprend son déclin,
et l'envie des gens est si grande
d'avoir maisons, terres et héritages
qu'ils se jettent dans les fourberies, comme des aveugles,
et quand ils voient s'intensifier la fraude
ils s'y poussent toujours plus avant.

V

Sel que volra de Dieus esser amatz
Aia en si leial entendemen,
Et ajoste so qu'aura leialmen,
Et fassa ben als paupres dezaizatz,
Qu'el mandamenz nos fon aitals donatz.
E qui non a-l poder aia-l talan,
Que-l volontatz venra a Dieu denan.

5

Celui qui voudra être aimé de Dieu,
qu'il ait au fond de lui, de loyales pensées,
et qu'il amasse loyalement ce qu'il possédera,
et qu'il fasse du bien aux pauvres nécessiteux,
car le commandement nous en fut ainsi donné.
Et quiconque n'en a pas le pouvoir en ait du moins le désir,
car, bonne ou mauvaise, notre volonté arrivera devant Dieu.

VI

Maire de Dieu, siatz de mi membran
Lai on seran jujat li pauc e-l gran.

6

Mère de Dieu, ayez souvenir de moi
là ou seront jugés les petits et les grands!


NOTES: Le premier mot du sirventès (Totz) est une conjecture (à peu près certaine). Dans l'édition de Bartsch où la pièce est désignée par "Lo sabers..." son rang alphabétique est différent (n°34).
Souvenir du Lazare dont la parabole a été rappelée dans XXIV-Tostemps vir cuidar en sabér.
Le devoir de charité envers les pauvres est expliqué plus longuement dans les deux grands sermons postérieurs LV-Jhesus Cristz et LXV-Predicatór.
 
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