Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XX
Per fols tenc Polhes e Lombartz

(Sirventes. )
- fin 1212 -
( Sirventès )

I

Per fols tenc Polhes e Lombartz
E Longobartz et Alamans
Si volon Frances ni Picartz
A senhors ni a drogomans,
Car murtrir a tòrt
Tenon a depòrt,
E ieu non lau réi
Qui non garda léi.

1

Je les juge bien insensés ces Apuliens et ces Lombards,
ces Longobards et ces Allemands,
s'ils veulent les Français et les Picards
pour seigneurs et pour interprètes,
car tuer injustement,
est pour ceux-ci un divertissement,
et moi je n'approuve pas un roi
qui ne respecte pas la Loi.

II

Et aura-ill ops bos estendartz
E que fiera mielhs que Rotlans
E que sapcha mais que Rainartz
Et aía mais que Corbarans
E tema meins mort
Que-l coms de Monfort,
Si vol qu'ab barrei
Lo mons li soplei

2

Et il lui faudra enrôler sous un bon étendard
frapper mieux que Roland
savoir plus que Renart
posséder plus que Corbaran
et moins craindre la mort
que le comte de Montfort,
s'il veut, par le saccage,
assujettir le monde

III

E sabetz qual sera sa partz
De las guerras e dels mazans ?
Lo cels e-l paors e-l regartz
Qu'el aura faitz e-l dols e-l dans
Seran sieu per sort;
D'aitan lo conort
Quab aital charrei
Vendra del tornei.

3

Et savez-vous ce qu'il recueillera
de toutes ces guerres et tumultes ?
La crainte, la peur et le péril qu'il aura causés
ainsi que la douleur et le dommage
à son tour, il les subira, par arrêt du destin;
C'est bien ainsi, je l'en assure,
avec un tel fourbi,
qu' il reviendra du combat.

IV

Hom, petit val tos sens ni t'artz
Si pertz t'arma per tos efans,
Per l'autrui carbonada t'artz
E l'autrui repaus t'es afans:
Pois vas a tal port
On cre qu'usquecx port
L'engan e-l trafei
E-ls tortz faitz que fei.

4

Homme, à quoi te servent ta raison et ton expérience
si tu perds ton âme pour tes enfants,
si tu te brûles en t'occupant de la grillade d'autrui
et si le repos de ton prochain devient ton tourment :
puisque tu vas à tel passage
où je crois que chacun emporte
la tromperie, les manigances
et tous les actes injustes qu'il a commis.

V

Anc Carles Martels ni Girartz
Ni Marsilis ni Agolans
Ni-l reis Gormons ni Izembartz
Non aussizeron d'omes tans
Que n'aion estort
Lo valen d'un ort,
Ni non lur en vei
Aver ni arnei.

5

Jamais Charles Martel ni Girart
ni Marsile ni Agolant
ni le roi Gormon ni Yzembart
ne tuèrent tant d'hommes
qu'ils en aient recueilli en fin de compte
plus que la valeur d'un petit jardin,
et je ne leur en vois aujourd'hui
ni richesse ni parure.

VI

Non cre qu'a la mort
Negus plus en port
Aver ni arnei
Mas los faitz que fei.

6

Je crois qu'à l'heure de la mort
nul n'emporte
richesses ni parure,
mais seulement les actions qu'il a accomplies.


NOTES: Le début du sirventès fait référence aux horreurs de la Croisade albigeoise ainsi qu'à une situation politique compliquée : "Les Apuliens désignent ici les sujets de Frédéric de Hohenstaufen, roi de Sicile, soutenu par Innocent III et par Philippe-Auguste comme candidat au trône des Romains contre Othon IV, empereur d'Allemagne, allié de Jean-sans-Terre. (...) P.C. , comme la plupart des "Toulousains" se range naturellement du côté des Anglais et de l'empereur Othon contre la coalition France-papauté-Hohenstaufen." (explication de René Lavaud)
Mais P.C. abandonne vite cette situation particulière pour s'élever à des considérations plus générales et, pour nous, plus intéressantes...
les Apuliens = (en Italie du sud - Apulie, aujourd'hui : Pouille(s) -) * les Lombards (en Italie du Nord) * Longobards (en Italie du Sud)
La "tornada" finale est très réussie .
Texte faisant partie des "Tròces causits" (voir Bibliographie)
 
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