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La Courtoisie insurgée
Essai sur Pèire Cardenal


(3) Entrée poétique (1200 - 1204)


.
Son œuvre commence tout naturellement par des chansons d'amour. L'essentiel de cette première production est perdu. Elle devait être fort délicate et raffinée, suivant les usages, et largement inspiré de ce qui pouvait s'entendre dans la riche cité, capitale du Velay, centre et étape de pèlerinage, et à ce titre drainant une population venant de tous horizons, permettant ainsi à la ville de s'ouvrir à toutes les influences.

Il ne nous reste de cette "entrée poétique" que cinq pièces:

  • une pièce religieuse (le "chant de croisade" XXX - Dels quatre caps que a la crós, daté de 1201 ou 1202)
  • et quatre "coblas" (couplets) datées des années 1200 - 1204

Cardenal paraît cependant avoir très tôt considéré qu'il devait être un moraliste plutôt qu'un poète de l'Amour. Sa nature est celle d'un pessimiste railleur et il a dû de bonne heure se rendre compte qu'il possédait une aptitude certaine à saisir les ridicules de son entourage, à en surprendre les vices cachés et à les dénoncer avec une ironie mordante. D'ailleurs même dans ces premières poésies on voit poindre un Cardenal moralisant qui donne ses conseils à la Dame:

Voici ce qui serait, pour toute dame, grande sagesse:
pouvoir choisir avant de prendre un ami,
faire connaissance avant de découvrir
devenir femme de valeur avant de chercher à plaire.
( IV-"A tota donna fora séns" )

Dès ces années 1200 - 1204, cette première production ( poésies religieuses et chansons d'amour ) lui permet déjà de se faire remarquer et progressivement d'acquérir même une certaine notoriété comme clerc lettré et comme poète.

Dans la cobla double X-"Lo segle vei chamjar" Cardenal se plaint d'avoir perdu ses protecteurs, ruinés peut-être par des conflits avec des "méchants seigneurs" :

Je vois de grands changements de par le monde,
c'est pour cela que je m'abstiens de chanter,
plus que pour tout autre chose
car ceux qui d'ordinaire étaient généreux,
je les vois maintenant nécessiteux et quémandeurs

En 1204, il est possible que le poète, appauvri et sans grand avenir en sa province ait alors sollicité un poste de secrétaire auprès du plus puissant seigneur occitan, celui dont la cour brillante avait tout pour éblouir par avance le jeune poète de vingt-quatre ans, le Comte de Toulouse lui-même, Raimon VI .

La réputation de Pèire Cardenal avait peut-être déjà dépassé le cadre du Velay, et la demande fut agréée.

Pendant un quart de siècle, le poète va vivre au plus près du pouvoir toulousain et se retrouver ainsi à un poste privilégié pour voir l'apogée de la civilisation occitane et sa ruine, les plus belles preuves de chevalerie mais aussi les pires félonies, les élans mystiques et les turpitudes, et sa verve s'épanouir en sirventès enflammés.
 


     
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Une enfance vellave
(1180-1200)
Entrée poétique
(1200-1204)
Une cour de mille amis amie
(1204-1222)
Dans la tourmente
(1222-1249)
L'errance
(1249-1260)
Le patriarche de Montpellier
(1260-1278)